La posture phare peut-elle devenir un piège pour les professionnelles de la petite enfance ?
- Marie-Ange Cormier-Zorroché
- 18 août
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 août

La « posture phare » a été conceptualisée dans les années 1990 par Anne-Marie Fontaine, psychologue du développement et formatrice spécialisée dans la petite enfance. Son objectif
était révolutionnaire pour l’époque : promouvoir une présence sécurisante et discrète de l’adulte en crèche, permettant à l’enfant d’explorer son environnement en autonomie, tout en étant assuré d’un point de repère stable. L’image du phare, qui éclaire et sécurise une zone pour les marins, a été transposée à la salle de jeu : l’adulte, par sa simple présence vigilante, offre aux enfants un environnement rassurant, favorisant ainsi leur exploration et leur apprentissage en toute confiance.
À l’origine, cette posture ne se résumait pas à une simple présence physique.
Elle exigeait des professionnelles :
Une vigilance constante : être disponible sans être intrusif, repérer les besoins, les interactions, les signes d’intérêt ou de difficulté.
Une observation outillée et réflexive : noter, analyser, partager ses observations pour adapter l’environnement et les propositions éducatives.
Une présence « en retrait actif » : intervenir avec parcimonie et pertinence, laissant la primauté à l’initiative et à l’exploration autonome de l’enfant.
L’observation était au cœur de cette posture, permettant de mieux connaître chaque enfant, d’échanger avec les parents et de fonder le projet éducatif.
La posture phare idéale : sécurité et observation active
La posture phare, telle qu’envisagée par Anne-Marie Fontaine, repose sur trois piliers :
La sécurité affective et physique : l’adulte est un repère stable, visible, qui permet à l’enfant de se sentir en confiance pour explorer.
L’observation fine et continue : il s’agit de repérer les compétences émergentes, les difficultés, les interactions entre enfants, afin d’adapter les réponses éducatives.
L’intervention ciblée : le professionnel intervient seulement quand c’est nécessaire, en soutenant l’autonomie et la curiosité de l’enfant.
Cette approche a montré son efficacité pour favoriser l’autonomie, la richesse du jeu et le développement global des tout-petits. Elle a aussi permis de valoriser le rôle de l’observation comme outil clé pour la continuité éducative et le dialogue avec les parents.
La dérive observée : quand le phare s’éteint ou clignote...
Pourtant, sur le terrain, cette posture noble connaît souvent une dérive inquiétante, la transformant parfois en piège passif :
1. Confusion avec l’accueil physique/émotionnel
Être assis à côté d’un enfant pour le câliner, l’apaiser ou recevoir son émotion est indispensable et professionnel. Mais cela relève de l’accueil relationnel et affectif immédiat, ce n’est pas la posture phare. Confondre les deux conduit à une incompréhension du rôle spécifique de cette dernière.
2. La posture d’attente
Trop souvent, la « posture phare » dégénère en posture attentiste. On observe des professionnels assis au sol, figés, dans une attente passive (« on attend la fin de journée », « on attend l’heure du repas »). La présence est là, mais l’observation active et la vigilance fine ont disparu. Le phare est allumé, mais il ne balaie plus l’horizon ; il est statique, voire éteint.
3. L’abandon de l’observation outillée
L’observation systématique, documentée et partagée, cœur battant de la posture phare originelle, est devenue extrêmement rare. Peu de professionnelles disposent ou utilisent réellement des outils d’observation permettant une analyse fine du développement, des appétences ou des « signaux faibles » chez l’enfant.
Cette carence rompt le lien essentiel avec les parents et la continuité éducative.
4. Le manque de réflexivité et d’ambition éducative
Réduite à une simple présence sécurisante, minimale, la posture perd sa dimension réflexive et proactive. Elle ne nourrit plus la conception d’activités adaptées, l’accompagnement ciblé des explorations ou l’échange constructif entre collègues et avec les parents. Elle risque de cantonner le professionnel à un rôle passif, loin des compétences complexes requises (savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-agir réflexif).
Vers une posture dynamique et éducative : la « posture Educare »
Face à ces limites, des alternatives émergent, notamment la « posture Éducare », ce concept est mobilisé depuis 2019 en Belgique dans les orientations des Hautes Écoles pour interroger les pratiques dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE).
Cette posture assume pleinement la dimension éducative dès le plus jeune âge et intègre :
L’alternance dynamique : les professionnelles alternent entre être au sol pour accueillir, sécuriser, jouer de proximité, et être debout et en mouvement pour accompagner l’exploration, proposer des activités semi-directives, observer largement, impulser, soutenir les interactions entre enfants.
L’observation fine et l’intervention ciblée : l’observation reste centrale, mais elle est active et orientée vers l’action éducative. Elle permet d’intervenir à bon escient, de proposer des aménagements ou des activités stimulantes, de soutenir l’autonomie quand l’enfant est prêt.
Une vraie posture d’Éducare 0-3 ans : cette posture rejette l’idée que « l’éducation » commence à l’école. L’enfant apprend en permanence ; la professionnelle a un rôle crucial pour nourrir cet apprentissage spontané par des interactions et un environnement riches, dans une démarche d’agir réflexif constante.
Conclusion : revitaliser la vigilance, dépasser la simple présence
La posture phare originelle d’Anne-Marie Fontaine n’est pas obsolète en soi. Son intention – sécuriser par une présence discrète pour libérer l’exploration autonome, fondée sur une observation rigoureuse – reste pertinente. Le piège réside dans sa mise en œuvre appauvrie et dévoyée : une posture passive d’attente, vidée de son essence réflexive et observationnelle.
Pour éviter ce piège et répondre aux besoins complexes des enfants d’aujourd’hui, il est crucial de :
Réaffirmer l’importance centrale d’une observation outillée, partagée et actionnable.
Former les professionnelles à cette observation active et à l’analyse réflexive
Promouvoir des postures plus dynamiques et complètes, comme la « posture Éducare», qui intègrent harmonieusement sécurité affective, soutien à l’exploration autonome, propositions éducatives pertinentes et observation continue.
Revaloriser le métier en reconnaissant la haute technicité et les compétences multiples (relationnelles, observationnelles, réflexives, éducatives) qu’il exige. « Donner des bras » est essentiel, mais insuffisant ; n’importe qui ne peut pas être une professionnelle compétente de la petite enfance.
En somme, la posture phare n’est pas à jeter, mais à réinventer : moins de passivité, plus d’observation, plus d’interactions de qualité, et surtout, une ambition éducative assumée. Car éduquer un enfant, dès son plus jeune âge, c’est lui offrir les meilleures chances de s’épanouir et de devenir.
Et vous, quelle posture adoptez-vous au quotidien ?
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Marie-Ange Cormier-Zorroché
Chercheuse dans l'accueil du jeune enfant
Fondatrice de Sajesses, EJE, Ingénieure dans l'accompagnement
Références et ressources utiles :
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