Réinventer l'accueil du jeune enfant par l'agir réflexif
- Marie-Ange Cormier-Zorroché
- 28 oct. 2024
- 4 min de lecture
Par Marie-Ange Zorroché - Fondatrice du centre d'étude SAJESSES
RÉINVENTER L'ACCUEIL DU JEUNE ENFANT PAR L'AGIR RÉFLEXIF
La qualité de l'accueil du jeune enfant, voilà un sujet dont on parle souvent… mais qu'en est-il vraiment au fond ? Dans le cadre d’une recherche-action pour le département des Hauts-de-Seine sur les indicateurs de la qualité d’accueil en crèche, lors de mes voyages et rencontres avec des pros de l’accueil du jeune enfant en Angleterre, Belgique, Danemark, Suède, Québec… Tous ont en commun une posture : la posture de l'agir réflexif (PAR).
L'AGIR RÉFLEXIF, L'ART DE TRANSFORMER PLUTÔT QUE FAIRE
Dans de nombreux pays, les pros de la petite enfance ont quelque chose que nous ne voyons que trop rarement ici : une aptitude à "agir", non pas à simplement "faire".
Agir, c'est beaucoup plus qu'exécuter une tâche ; c'est voir chaque geste comme une opportunité de transformation. Le travail le plus important des pros de l’accueil du jeune enfant n’est pas de "faire des changes", « faire des soins » ou "faire des activités". Le travail des pros est d’observer, analyser, comprendre et agir de manière à accompagner le développement de chaque enfant.
Alors, l'agir réflexif, qu'est-ce que c'est ? C'est une boucle de réflexion constante. C'est regarder, observer, analyser, comprendre, et ensuite se remettre en question pour agir de manière plus ciblée.
L'AGIR RÉFLEXIF, c'est faire sens, donner un impact, une direction à chaque geste, chaque interaction. L'agir réflexif, c'est un peu une philosophie, une manière de vivre la petite enfance.

Les crèches que j'ai visitées à l'étranger ne planifient pas leurs activités seulement autour des fêtes de Noël ou de Pâques, mais autour des progrès des enfants, de leurs appétences, de leurs explorations. Les pros observent l'enfant, échangent leurs observations avec les autres membres de l'équipe, et créent des activités qui permettent aux enfants une liberté d'apprentissage à leur rythme.
Lorsque je discute avec des pros en France, certains me disent qu'ils le font, mais souvent sans outils concrets, « au feeling ». Mais ce « feeling » peut-il vraiment constituer une posture professionnelle ? Je m’interroge…
Certains me disent qu’ils ont des outils, mais ils sont souvent bien rangés dans des gros classeurs. Où est l'agir réflexif ? Où sont mises en valeur les incroyables compétences de chaque pro ? Chacune et chacun, qu'importe sa formation, son diplôme ou son parcours, peut entrer dans une posture d'agir réflexif.
Prenons un exemple : le développement de la motricité fine. J'aime proposer cette idée simple. Imaginons une semaine où, chaque matin, les enfants ont accès à un atelier avec des gommettes, des crayons de couleurs et autres petits outils pour travailler leur motricité. Souvent, les pros me répondent : "Ah oui, on le fait… de temps en temps." Mais la régularité est essentielle ! Un apprentissage ne se stabilise pas avec des apprentissages occasionnels.

C'est là que je leur rappelle qu'elles ne sont pas des gardiennes d’enfant, elles sont des professionnelles de l'accueil du jeune enfant, formées et capables de mettre en place des expériences qui accompagnent le développement de chaque enfant.
Si une activité est répétée chaque jour de la semaine, les pros peuvent alors voir comment chaque enfant réagit. Se dirige-t-il spontanément vers la table ? Combien de temps reste-t-il à l'activité ? Certains enfants n'ont peut-être jamais eu l'occasion, chez eux, d'explorer des gommettes ou des pinceaux, alors il leur faudra peut-être deux ou trois jours avant de se sentir assez confiants pour participer. En observant ces interactions, nous travaillons bien au-delà de la motricité fine ; nous touchons aussi à la sphère affective et émotionnelle, cruciale dans le processus complexe et essentiel de la construction du Soi, qui commence dès les premiers mois de la vie.
De plus, une telle planification (finalement assez simple) permet aux pros de faire un retour aux parents basé sur des faits, étayé par une semaine d'observations riches et approfondies. Ce suivi détaillé devient alors une ressource précieuse, un point d'appui pour renforcer le lien éducatif entre la maison et l’accueil, et créer une véritable continuité éducative.
LE RATIO PRO/ENFANT : UNE CONTRAINTE SUR L'AGIR RÉFLEXIF
Cela dit, je nuancerai mon propos : en étudiant l'accueil individuel, j'ai remarqué que les pros de ce secteur sont plus souvent dans une posture d'agir réflexif que ceux de l'accueil collectif, même si, ils et elles utilisent peu d’outils d’observation. Faut-il en déduire que le ratio pro/enfants joue un rôle majeur ? Serait-ce un facteur déterminant dans ce passage du « faire » à l'« agir » ?
Je crois que nous sommes toutes et tous d’accord, faire des « changes » n'a jamais été le but ultime pour les pros de l'accueil du jeune enfant, je suis convaincue que cette posture d'agir réflexif est celle à laquelle toutes et tous aspirent, celle qui leur permet de redonner du sens et de l'impact à leur mission.
LES INDICATEURS SAJESSES
Lorsque je visite les crèches ou les assistantes maternelles pour l'obtention du label SAJESSES, qui mettent en évidence des indicateurs essentiels comme la Sécurité, les Apprentissages, la Joie, l'Environnement, le Soutien Parental, le Suivi, l'EduCare, et les Spécificités, je constate souvent que l'indicateur « Suivi » est celui qui pose le plus de problème. Rares sont les structures, qu'elles soient collectives ou individuelles, qui parviennent à obtenir une évaluation solide dans cette catégorie.
PASSER A L'AGIR REFLEXIF POUR VALORISER NOTRE METIER
Avec un secteur composé à plus de 90 % de femmes, nous avons une responsabilité collective d'exiger l'excellence et de transformer notre métier en une profession de grande qualité. Nous sommes les actrices de l'accueil du jeune enfant, tant en structures collectives qu'individuelles, et notre rôle est fondamental pour la société. Nous accompagnons des jeunes parents et éduquons et prenons soin des futurs citoyens, permettant à des milliers de Français et Françaises de travailler l'esprit tranquille. Il est donc essentiel d'élever, notre profession vers de nouveaux standards de qualité – et c'est à nous de le faire.
À NOUS DE TRANSFORMER L'ACCUEIL DU JEUNE ENFANT
En adoptant une posture d'agir réflexif, nous renforçons notre professionnalisme et faisons progresser le secteur de l'accueil du jeune enfant, collectif et individuel, vers un véritable métier éducatif.
Imaginons des pros de nouveau, investi.es, passionné.es, actrices et acteurs conscient.es de leur impact, capables d'échanger des observations pertinentes avec les parents, la France pourrait faire partie des pays dont la qualité de l'accueil du jeune enfant est élevée.

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